jeudi 18 avril 2024

Editorial: Une réélection tranquille… et quoi, après ?

Comment ne pas faire, d’une réélection apparemment tranquille, les prémices d’une chute aussi brutale que désastreuse ? Se lever dès l’aube, descendre sur le terrain, déguisé et sans plus de cent MRU en poche, parcourir l’un ou l’autre des quartiers populaires, visiter telle ou telle école, service hospitalier d’urgences, entreprendre une quelconque démarche administrative, monter dans les taxis « tout droit », s’asseoir avec les ouvriers dans les ateliers, rencontrer de jeunes chômeurs errant dans les rues et écouter, partout, le bruit du peuple. Il souffre. La moitié de la population de la capitale ne dispose que de bidons d’eau pour ses besoins quotidiens. Il n'existe pratiquement aucun service de l’État qui fonctionne de manière régulière et efficace, il est presque impossible pour un citoyen lambda d'achever la moindre démarche administrative en une seule journée, exposé qu’il est au chantage et à l’avidité des fonctionnaires. La frustration et le mécontentement général ont atteint un rare degré de congestion et ce n’est pas peu dire que le citoyen a perdu espoir. Vu d’un palais entouré de dizaines de gardes, conseillers et chargés de mission, un tel tableau peut paraître d’autant plus irréel qu’il ne manquera jamais de citoyens sélectionnés à l’avance ni de dîners avec certaines élites courtisanes pour en nier l’existence, sinon l’édulcorer à outrance. À défaut de prendre son courage à deux mains et fort d’un pourcentage de voix adéquatement obtenu par ces acheteurs de conscience – mais quel marché de dupes ! – le réélu ira donc vers son très incertain destin… À moins qu’il n’entende, enfin, la vraie rumeur, celle de son peuple fatigué, et entreprenne, dans les réformes, le saut qualitatif qui les mènera à leur vrai bon port : la bonne santé du peuple. Ce jour-là, les citoyens sentiront qu'ils ont un président qui comprend leurs souffrances et se soucie de leurs aspirations. L’élu n'aura plus besoin de plaire aux notables et aux corrompus, par le biais de nominations et de marchés publics. Il aura enfin assumé son destin, porté par la confiance des gens ordinaires, ceux-là même qui forment la Nation. Ahmed ould Cheikh

vendredi 5 avril 2024

Editorial: Slogan creux?

Avis aux lanceurs d’alertes et à tous ceux qui dénoncent malversations, gabegie et corruption : ne faites plus de vagues ! Votre place est désormais la prison et devant les prétoires, non en plaideurs de ce que vous avez avancé contre les fraudeurs mais en accusés d’avoir divulgué ce que tout le monde sait déjà. Il est en effet de notoriété publique que les marchés – d’adduction d’eau potable, barrages ou routes… – donnent, comme ils ont toujours donné, lieu à toutes sortes de malversations, avec la complicité manifeste de l’Administration et parfois même du bailleur de fonds. Ould Ghadda n’a cité qu’un exemple parmi d’autres ; la justice devait s’en saisir et ordonner une enquête qui ne pouvait aboutir qu’à deux hypothèses : soit ce que l’ONG avance est vrai et les contrevenants doivent être sévèrement sanctionnés ; soit c’est faux et des poursuites seront alors engagées contre elle ; avec, dans les deux cas, application de la loi dans toute sa rigueur. Mais expédier l’ancien sénateur en prison avec une telle célérité ne grandit pas la justice. En agissant ainsi, ne prend-elle pas le risque d’écrouer un innocent avant qu’il ne soit jugé ? Des pratiques d’un autre âge dont elle n’arrive toujours pas à se départir. Qu’est-ce qui l’empêchait de commettre d’office une équipe d’experts et l’envoyer sur le terrain pour vérifier ce que l’ONG avance ? Ou n’a-t-elle fait qu’exécuter des ordres venus d’en haut pour réduire au silence un turbulent qui ne manquera de faire de nouvelles vagues ? Les coups tordus sont légion lorsqu’il s’agit de marchés publics et quand on commence à les éplucher de la sorte, cela risque de faire désordre. Pour peu, bien évidemment, que la lutte contre gabegie soit une réelle volonté politique et non pas un slogan creux… Ahmed ould Cheikh

vendredi 29 mars 2024

Editorial: Le calice jusqu’à la…Galice

Pourtant munis de visas en bonne et due forme, ils sont de plus en plus nombreux, les mauritaniens qui se font refouler à l’aéroport de Las Palmas, victimes du zèle de certains policiers. Les pandores exigent parfois un billet retour, une importante somme d’argent en liquides pour financer le séjour – les cartes de crédit ne sont pas acceptées – une réservation d’hôtel pour leur éviter sans doute de passer la nuit à la belle étoile ou, tenez-vous bien, un titre de propriété pour ceux qui se disent propriétaires d’appartements (comme s’il était d’usage de trimballer ce genre de documents d’un aéroport à l’autre) ! La situation a atteint un tel degré que la consule générale de Mauritanie aux Canaries a été obligée de s’en mêler. Mariem Aouffa a en effet exprimé son malaise face au traitement que reçoivent les ressortissants de notre pays à l'aéroport de Gran Canaria, en raison, s’est-elle émue, « du zèle excessif des agents frontaliers au moment d'autoriser l'entrée sur l'île ». L’organisation Hispafrica qui travaille à améliorer les relations entre l’Afrique et l’Espagne a elle-même qualifié ces pratiques d’« absurdes ». Que craignent donc nos amis espagnols pour faire preuve de si peu de courtoisie à notre égard ? Oublient-ils que leur île n’est pas une terre d’immigration et que les mauritaniens qui y viennent chaque année par milliers n’ont d’autres objectifs que de passer des vacances, dépenser leur argent, acheter des logements et se faire soigner ? Ont-ils la mémoire si courte pour ne pas se rappeler que lors de la dernière crise économique qu’a connue l’Espagne, ce sont nos concitoyens qui ont sauvé l’économie de l’île ? Il faudrait que les responsables espagnols expliquent à ces policiers que les Mauritaniens sont, parmi la communauté étrangère, ceux qui possèdent le plus de résidences à Las Palmas. Et leur rappeler surtout que leur Premier ministre est venu tout récemment à Nouakchott implorer le soutien de la Mauritanie dans la lutte contre l’immigration clandestine. Sans cet appui, il paraît évident que leurs îles seront envahies par des milliers d’immigrés sans papiers qui se dispensent, eux, de visas… en ignorant tout simplement les aéroports. Vous auriez donc tout intérêt, messieurs les policiers, à entendre que tous les étrangers, fussent-ils africains, ne sont pas tous des migrants et à mettre un peu d’eau dans votre vin, si vous ne voulez pas boire le calice… jusqu’à la Galice ! Ahmed ould Cheikh

jeudi 14 mars 2024

Editorial: Tracer l'argent, enfin...

Tout a une fin, comme on dit. Et parfois au moment où l’on s’y attend le moins, tant la situation s’est normalisée. Mais la Banque Centrale ne l’entendait pas de cette oreille. Elle vient de donner un énorme coup de pied dans la fourmilière en décrétant que les transactions financières à travers les applications mobiles seront strictement réglementées et plafonnées. Évoluant jusqu’alors dans un contexte marqué par l’anarchie et brassant des milliards dont une partie était sans doute d’origine douteuse, ces applications n’avaient jamais été encadrées par une quelconque loi. La Mauritanie est le seul pays au monde où, par un simple clic, on peut échanger des centaines de millions. Il suffit juste d’avoir un smartphone et, bien évidemment, un compte bien garni. Par qui, par quoi et comment ? Personne ne s’était jamais posé la question. On a ainsi vu des fortunes pousser comme des champignons et des anciens pauvres ne plus savoir où mettre l’argent, tant il coulait à flots. Ni les services anti-blanchiment ni le fisc n’avaient essayé de tracer ces montants faramineux. Les restrictions drastiques imposées aux applications, commencent déjà à faire grincer des dents, et pour cause. Elles rapportent de l’argent, et pas qu’un peu, aux banques et à certains usagers… Régleront-elles le problème pour autant ? Rien n’est moins sûr. Plus qu’une décision de la BCM, ce qu’il faut, c’est un ensemble de lois réglementant les flux financiers, à l’instar de ce qui se fait un peu partout dans le Monde. L’argent, dit l’adage, n’a pas d’odeur. Mais il est traçable. Il suffit juste d’un peu de volonté. Ahmed ould Cheikh

samedi 9 mars 2024

Editorial: Un défi à notre portée

On en parle, on en reparle et en on re-reparle encore… La Mauritanie et ses coutumes ancestrales d’hospitalité, aujourd’hui « pays de transit et, de plus en plus, de destination finale en matière de flux migratoires », selon les termes mêmes de la « note verbale » proposée au gouvernement mauritanien à la mi-Décembre 2023 par l’Union européenne, en exergue à la signature le 7 Mars prochain d’une déclaration conjointe sur la gestion des migrations… On en parle, on en reparle… et d’aucuns s’inquiètent. Notamment « en ce qui concerne l’inclusion des réfugiés dans le système national d’éducation et dans les dispositifs de protection sociale au même titre que les nationaux d'ici 2027 ». Certes, l’UE fait ici référence aux engagements déjà renouvelés de la Mauritanie dans le cadre du Forum Mondial des Réfugiés et celui de « l’Accord de Samoa pour un partenariat politique renforcé visant à produire des résultats mutuellement avantageux au regard d'intérêts communs et convergents ». De gros sous en perspective, donc. Des centaines de millions d’euros, ce n’est pas rien. Mais pour qui et, surtout, à quels prix ? Certes encore, l’approche de la nouvelle campagne électorale présidentielle est propice à toutes les alarmes et ce n’est guère étonnant d’entendre des rumeurs populistes se vêtir de « préférence nationale » et autres extrême-droitières considérations protectionnistes. Leur provenance, d’une Société civile et de partis réputés militants acharnés des droits de l’Homme, est cependant plus insolite. Il est vrai que le système en cours éprouve déjà des difficultés à intégrer tous nos concitoyens – nationaux ? La confusion des concepts ne l’aide guère à faire le tri… – et l’hypothèse d’un afflux massif de négro-africains a de quoi effrayer certains… À peine plus, toutefois, que celle de militants maghrébins ou arabes indésirables en Europe et dans leur pays d’origine. Et si nous regardions la situation sous un autre angle, à plus long terme ? La proposition de l’Union européenne, c’est d’abord l’aveu de son échec à organiser conjointement le séjour, la résidence, la citoyenneté et la nationalité sur son territoire. Son passé, sa complexité et ses lourdeurs administratives l’entravent. Elle a besoin d’exemples. Nous avons, pour notre part mauritanienne, tout-à-la fois la profondeur de nos valeurs ancestrales et la jeunesse de notre république. Serions-nous incapables de repenser celle-ci, avec l’aide financière d’une Union européenne consciente de ses limites ? Serions-nous si peu commerçants que nous ne sachions pas orchestrer, pour le bien de tous, la convergence de nos intérêts communs ? Le vrai pari, aujourd’hui, est d’assurer notre propre unité nationale, spécifique, en construisant une citoyenneté ouverte à tous. Ce n’est pas une utopie, c’est un défi désormais à notre portée ! Ahmed ould Cheikh

vendredi 1 mars 2024

Editorial: Une affaire de politesse

Notre arène politique serait-elle devenue un panier de crabes, une nouvelle écurie d’Augias qu’il serait urgent de nettoyer pour ne pas tomber encore plus bas dans la déchéance ? Quelques exemples triés sur le volet donnent une idée de l’ampleur du déclin : un député qui accuse, sans preuves, un homme politique d’avoir obtenu une importante somme d’argent généreusement octroyée par un riche homme d’affaires, pour financer sa campagne lors de la dernière présidentielle, et refuse obstinément de faire son mea culpa pour éviter un procès… Une activiste des réseaux sociaux, connue pour n’avoir pas sa langue dans sa poche, qui accuse ce même député d’être « les hémorroïdes du Parlement »… Une députée qui traite le Premier ministre et sa délégation de « chiens de garde » avant de se faire expulser manu militari de l’Hémicycle… Certes le phénomène n’est pas nouveau : Ould Abdel Aziz n’avait-il pas pris la mauvaise habitude de traiter les leaders de l’opposition de « vieux croulants », entre autres propos peu amènes ? Certains le lui rendaient bien mais il n’en avait cure, l’essentiel pour lui étant d’amasser une fortune – il y a d’ailleurs réussi au-delà de toute espérance – quitte à laisser la scène politique en lambeaux où tout un chacun peut se prévaloir de ce qu’il n’a jamais rêvé d’être. Faudrait-il ici rappeler que les principes du débat, dans un pays officiellement déclaré islamique, sont ceux de la Shûra ? Et il serait fort bon d’inscrire, aux portes de tous nos marchés – politiques y compris – la célèbre citation d’Eugène Chatelain : ‘’La politique est une affaire de politesse’’. Ahmed oud Cheikh

vendredi 23 février 2024

Editorial: Bonne chance, Président!

Voici de nouveau un mauritanien à la présidence de l’Union Africaine ! Après Mohamed ould Abdel Aziz en 2014, c’est en effet Mohamed ould Ghazwani qui a été choisi par ses pairs africains pour superviser les débats de leur Conférence durant une année. Un poste essentiellement honorifique, il faut d’emblée le signaler, puisque les décisions de cette assemblée se prennent à la majorité des deux tiers. Mais la recherche du consensus n’en est pas moins un objectif en filigrane et la personnalité de notre président de la République devrait s’y révéler précieuse. L’UA en a besoin, tant les problèmes s’accumulent devant, derrière, à gauche, à droite, au-dessus, en-dessous et à l’intérieur de l’organisation continentale fondée en 2002. Enfin un représentant de l’Afrique blanche vraiment consensuel ? Car il faut bien reconnaître que l’Afrique du Nord ne s’est guère signalée, à ce jour, par une telle qualité exemplaire, étalant sans vergogne ses propres divisions. Notamment entre le Maroc et l’Algérie dont l’incapacité à s’entendre leur interdisait de prétendre à la présidence de l’Union. C’est d’ailleurs à titre de compromis que Ghazwani a accepté de s’y présenter, alors que l’actualité mauritanienne – imminence de l’élection présidentielle… – lui aurait plutôt commandé de s’en abstenir. Il aura à ses côtés le tchadien Moussa Faki qui achèvera cette année son second mandat à la tête de la Commission de l’UA chargée de l’exécution des décisions de la Conférence. Ils se connaissent bien et ont en commun un sens aigu de la diplomatie. De quoi lancer un processus revivifiant pour l’Union du Continent ? Un an, c’est évidemment peu mais sait-on jamais ? L’Esprit souffle où Il veut et ne s’embarrasse pas du temps… Bonne chance, Président ! Ahmed ould Cheikh